David R. était en vacances chez Rémi, son ami d’enfance, nouvellement marié et qui venait de s’installer avec son épouse dans ce petit village du Tarn et Garonne. Il était descendu de Paris, par l’autoroute au volant de son bolide japonais. David était bel homme, grand, intelligent et possédant un certain sens de l’humour. Cette première soirée s’annonçait morose, ses amis étant fatigués par leur journée de travail pour envisager la moindre sortie. La fête du village battait son plein ; David décidât de laisser le couple affalé devant la télévision et sortit dans la nuit fraîche, bien décidé de voir comment on s’amusait en province, un samedi soir. Une légère brise s’engouffrait dans les ruelles. La lune était pleine.
Un groupe local jouait des reprises sur une scène bancale. La musique était forte mais agréable. Des couples s’embrassaient goulûment. Des jeunes, collés sur le comptoir de la buvette, engloutissaient bières sur bières. L’ambiance était terne et aussi morose qu’à l’intérieur de la maison de ses amis. Jetant un coup d’œil rapide sur cette place de village, David remarqua la jeune fille. Elle avait de longs cheveux noirs qui retombaient sur ces épaules. Ses yeux d’un bleu transparent le laissèrent sans voix. Elle le regardait, lui souriait. Lui qui a toujours été d’une extrême timidité avec les femmes, décida, sans hésitation, d’aller s’asseoir près d’elle afin de tenter d’engager la conversation. Elle s’appelait Valérie, habitait le village et avait sensiblement le même âge que David. Ils discutèrent une bonne partie de la nuit, échangeant regards complices et sourires affectueux, se découvrant des dizaines de points communs. Ils avaient quasiment les mêmes goûts et les mêmes attentes de la vie. Comme on dit, le courant passé entre eux.
Vers 1h30, elle dit à David qu’elle devait rentrer car elle devait se lever tôt le matin même. Il proposa de la raccompagner ce qu’elle accepta, précisant quand même qu’il ne fallait qu’il se fasse des idées sur la continuité de la soirée car elle vivait chez ses parents… Il répondit, qu’il souhaitait simplement la raccompagner, qu’il avait passé l’âge de ces gamineries, mais qu’il souhaitait vivement la revoir le lendemain. Elle ne répondit pas. Elle se contenta de frissonner et même se mit à trembler. David proposa son blouson à la belle qui accepta avec un grand sourire.
Ils arrivèrent devant la maison, d’un style très rustique et d’apparence modeste. Elle le fixa droit dans les yeux, leurs visages se rapprochèrent et leurs lèvres se frôlèrent ; mais au dernier moment, elle tourna la tête. David eut juste le temps de sentir un souffle glacé sur son visage. Sans un mot elle ouvrit la porte et rentra. David n’eut même pas le temps de réclamer son blouson. Grelottant, il rentra chez ses amis. Il eut du mal à s’endormir, pensant à Valérie. Avait-il rencontré la femme de sa vie…
Le lendemain matin, Il raconta cette rencontre inattendue à son ami qui ne semblait pas connaître cette Valérie là. David avala rapidement son petit déjeuner avant de chevaucher sa moto pour retrouver la maison où la veille, il avait raccompagné la jeune fille. Il frappa à la porte qui s’ouvrit, laissant apparaître une vieille femme courbée, le visage marqué par le temps et les duretés que la vie nous réserve.
-"Bonjour, madame, vous devez certainement être la grand mère de Valérie ? "
Un regard glacial plongea dans les yeux gris de David.
-"Je suis sa mère..."
- "Toutes mes excuses madame. Valérie est-elle là?"
Le jeune homme se sentait terriblement confus et honteux.
-" Je vous demande pardon… Les yeux de la vieille femme se mirent à briller."
- "J’ai raccompagné Valérie devant votre porte hier soir et elle est rentrée, emportant par mégarde le blouson que je lui avais prêté."
- "Monsieur, je n’apprécie pas votre humour… ou votre méchanceté… Valérie est morte le 10 février 1964 dans un terrible accident de voiture. Elle était mon unique enfant."
- "Mais madame, je…"
- "N’insistez pas"
Elle referma la porte violemment. David fixait bêtement la porte close. Il sursauta lorsque la cloche du village sonna onze heures. Son regard fixait le clocher quand il fut déporté vers la petite porte verte qui menait au cimetière. Le jeune homme se dirigea dans cette direction, ouvrit la porte et pénétrait dans ce lieu de repos éternel et de quiétude. Le cimetière était petit, ombragé par quelques saules et autres tilleuls. Ses yeux s’arrêtèrent instantanément sur une tombe. Elle portait le nom de Valérie L., décédée accidentellement le 10 février 1964 à l’âge de 31 ans.
Ce n’était pas le nom, ou le mauvais état de la sépulture qui avait attiré l’attention de David, mais le blouson noir, type motard, soigneusement plié et rangé sur la tombe de Valérie.
David ne revint jamais dans ce petit village du Tarn et Garonne.
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